Abstract:
Les figures mythiques ou légendaires s’adaptent à chaque époque
et en chaque lieu. Cet article tente de montrer comment Constance
Pipelet, future princesse de Salm (1767-1845), une des filles des
Lumières et admiratrice des idéaux de la Révolution française, se sert
du récit de la vie de Sapho, grande poétesse de l’Antiquité, pour
proposer une Sapho qui est aussi amoureuse, éplorée et trahie que
rebelle et révolutionnaire. Nous verrons comment les convictions
intimes de la jeune écrivaine font cause commune avec le théâtre de
propagande soutenu par les divers gouvernements de la décennie
révolutionnaire en France. L’histoire d’amour malheureux de Sapho
est ainsi devenue la toile de fond d’une tragédie qui propage les idées
des Lumières, avertit contre les nouvelles formes du patriarcat et
dénonce la superstition religieuse. La comparaison de cette oeuvre
avec celle de deux autres femmes auteurs (Mme de Beaufort et Mme
de Staël) révèle mieux l’originalité de la tragédie de Constance Pipelet
et montre comment chacune modifie le récit de la vie de Sapho pour
l’adapter à son goût.
Machine summary:
"Dans les deux premières éditions (1794 et 1810) il se rallie à la joie de Sapho et se réjouit de ce retour ; dans les trois éditions ultérieures (1811, 1814 et 1817) il garde le silence et ne se prononce pas sur le sujet ; dans les deux dernières éditions (1835 et 1842) il semble prévoir un danger et une nouvelle déception et dit « Cependant si j’osais … » Malgré cette présence protectrice et bien qu’il puisse paraître défendre l’émancipation et l’autonomie féminine, dans la scène cinq de l’acte II, lorsqu’il demande à Phaon de protéger Sapho, Stésichore suggère que la femme a toujours besoin d’une protection masculine : Si vraiment le remords vous ramène à ses pieds, N’en doutez point, Phaon, vos torts sont oubliés.
Conclusion Par l’analyse du personnage de Stésichore comme le symbole d’un patriarcat moderne et du celui de Sapho étant une femme qui ne se plie ni au pouvoir masculin ni aux autorités religieuses et par l’étude de la place donnée au clergé qui concède à la tragédie de Constance Pipelet une forte charge anticléricale, nous avons tenté d’élucider les trois aspects qui assurent la qualité politique de cette pièce et qui la situent dans le répertoire dramatique de la décennie révolutionnaire en France.
Si nous avons ici proposé une lecture politique de la tragédie-lyrique de Sapho, la réflexion sur les conditions des femmes auteurs constitue l’autre aspect de cette pièce qui mérite d’être étudié en confrontant cette œuvre avec toutes les autres de l’écrivaine et celles de ses contemporains et aussi en la situant dans le contexte culturel des productions dramatiques des femmes après la Révolution française."