Abstract:
D‟après Chateaubriand, ce qui empoisonne la vie, c‟est une incertitude causée par une certitude. La certitude, c‟est bien entendu la mort qui n‟exempte personne. L‟incertitude, c‟est l‟instant où la mort assènera son coup fatal. La mort, voilà le mal absolu, car elle prive l‟homme du bien absolu qui est la vie. Les vivants vieillissent, agonisent et enfin s‟éteignent. Puis leurs cadavres pourrissent à leur tour. La mort touche non seulement les humains, mais aussi tout ce qui s‟inscrit dans le temps : les sociétés s‟effritent, les systèmes culturels s‟usent pour se désagréger en résidus et ruines… Etant en butte à l‟hécatombe de la mort, l‟homme, peut-il faire quelque chose? Vigny et Hemingway croient avoir trouvé une réponse convaincante qui s‟appelle « stoïcisme ». Il s‟agit d‟une école philosophique de la Grèce antique qui préconise l‟indifférence et le courage pour défier la mort.Cet article se propose d‟expliquer cette école à travers deux histoires épiques dont les protagonistes sont un loup et un pêcheur.
Machine summary:
L’histoire est simple : Vigny et ses amis partent à la chasse et heureusement rencontrent une famille de loups cerviers : Rien ne bruissait donc, lorsque, baissant la tête, Le plus vieux des chasseurs qui s’étaient mis en quête, A regardé le sable en s’y couchant ; bientôt, Lui que jamais ici l’on ne vit en défaut, A déclaré tout bas que ces marques récentes Annonçaient la démarche et les griffes puissantes De deux grands loups cerviers et de deux louveteaux (Ibid.
Le pêcheur d’Hemingway et le loup de Vigny sont triomphants, car ils peuvent résister contre la plus grande tentation du monde: celle de désespérer, celle de se suicider : « L’homme qui attente à ses jours, écrit Chateaubriand, montre moins la vigueur de son âme, que la défaillance de sa nature »(Oster,2008, 72).
Le loup de Vigny et le vieil homme d’Hemingway sont nous qui sommes condamnés à rouler sans cesse un rocher jusqu’au sommet d’une montagne, sachant bien que la pierre retombera inlassablement à nos pieds, condamnés à nous abrutir à faire une besogne désespérée, condamnés et incapables d’échapper à une mort inévitable, condamnés à observer avec impuissance la décadence et le pourrissement de notre corps.
Vigny et Hemingway mettent en lumière la question philosophique par excellence qui se pose à la conscience humaine : dans un monde où aucun effort n’est a priori justifiable devant les sanglantes mathématiques de notre destin fatal ; la vie, vaut-elle la peine d’être vécue ?