Abstract:
La notion d’étranger est sans doute universelle. Bien répandue aussi est celle d’un état inné : l’homme se sent «étranger», séparé de son origine qui lui donna l’avant goût de la félicité, de l’union (perçue aussidurant la vie foetale?), un ressenti d’amour absolu. Cette nostalgie de l’Amour originel– véritable patrie de l’âme -, imprègne toute la littérature persane classique, surtout celle dite « mystique » que nous aborderons ici avec Mowlavi (Divân-e Shams) et Hâfez (Divân), sans oublier ‘Attâr (Le livre de l’épreuve) qui est une référence incontournable pour tous les auteurs venus après lui. La recherche du Bien-Aimé, de la Bien-Aimée, qui anime cette littérature est le symbole de cette nostalgie de l’âme persane dont l’Orient est la Source divine, toute amour, pur amour. La souffrance fondamentale de l’être humain est de se sentir «étranger» en ce monde, exilé, seul: sa quête désespérée d’amour ne peut être guérie que par le renoncement à toute possession de l’être aimé. C’est seulement dans ce renoncement total qu’est possible, enfin, l’Union. Ce renoncement n’est toutefois pas le fruit d’un dualisme comme dans le gnosticisme. L’originalité de la mystique persane est d’unir deux réalités qui semblent «étrangères» l’une à l’autre mais sont intimement liées du fait qu’elles sont toutes deux totalement issues de l’Unique source de tout, Dieu. La patrie de l’âme est le monde de lumière et d’amour qu’est la Source divine, origine de tout être. Par la puissance purificatrice de la «séparation» qu’impose notre condition humaine, il est possible de brûler l’obstacle principal qu’est notre «moi», ce khod avide qui nous sépare de la Source originelle. Ce monde-ci est précieux en tant que source d’épreuve. La plus puissante énergie qui nous conduit à chercher cette épreuve, puis à la subir, à la traverser, pour pouvoir enfin parvenir «au-delà», c’est l’Amour. Car de l’Amour nous sommes nés, vers l’Amour nous retournons.
Machine summary:
"En plus de la religion mazdéenne et sa réforme zoroastrienne qui sont proprement persanes, la vaste aire persane a connu dès l’Antiquité des traditions très diverses : le bouddhisme a pénétré très avant en Iran, à commencer par l’actuel Afghanistan (rappelons-nous les gigantesques bouddhas de Bamyan que les Talibans ont détruits à la bombe), la culture grecque a laissé sa marque indélébile pour des siècles avec Alexandre et ses successeurs, le christianisme a été très actif, puis le manichéisme qui est né en Iran et s’est diffusé de là jusque très loin vers l’ouest (de notre côté) et vers l’est (jusqu’à la Chine).
Je ne donnerai ici que deux exemples – très connus en occident, et bien entendu en orient aussi - de grands auteurs persans qui ont mis l’accent sur le thème de l’étranger, mais il faut être conscient que cela est présent en arrière plan presque partout : Djalâl od-Dîn Rûmi, au XIIIe siècle, surnommé Mowlânâ (« notre maître ») et Hâfez au XIVe siècle.
Les deux mondes, c’est-à-dire « ce monde-ci » - monde mélangé, fait d’eau et de boue, de lumière et d’obscurité, de bien et de mal -, et « ce monde-là » - monde de lumière, monde qui est pure expression divine - sont tous deux « l’éclat de Sa face » : il n’y a rien qui ne vienne de Lui, cela c’est à la fois la profession de foi (« je te l’ai dit ouvertement ») de l’islam et une expérience des mystiques (« je te l’ai dit en secret »), car dans l’expérience ineffable de l’union, l’unicité abolit tous les contraires."